Récit de voyageur : le voyage de bernie

‘Une sortie à la voile résolument différente aux abords de l’île Maurice’

Plus de 18 heures ! 18 heures 30 exactement nous séparent de la rencontre avec la Sorellina.
Nous volons de nuit vers le tropique du Capricorne. Il s’agit de dormir un peu pour ne pas avoir l’air d’une papaye confite lorsque nous nous présenterons à la Sorellina.

Il est vrai que ce petit dériveur de 13 mètres a un sacré curriculum vitae nautique et il faut faire face. Lorsque je suis tombée par hasard un soir de septembre sur son histoire, j’ai voulu en savoir plus. Sortie d’un chantier naval breton dans les années 80, La Sorellina a – un jour- rencontré un véritable passionné des mers. Il l’a achetée et ensemble ils sont partis vers les mers chaudes de l’Ile Maurice. Thierry a quitté la France et son métier et il a donné rendez-vous à sa charmante épouse et ses 2 fils trois mois plus tard sur l’ancienne Isle de France.

Le sort a bien voulu qu’il arrive sans casse avec 2 équipiers aussi téméraires que lui vers les terres qui portent des noms aussi beaux que Trous-aux-Biches, Flic en Flac, Pointe Piments ou Pointe Baignoire. La Sorellina a quitté la Bretagne pour Gibraltar, ensuite cap sur Monastir et puis Malte. S’ensuit le passage compliqué du Canal de Suez et des zones dangereuses comme le Soudan et l’Erythrée où ils ont été retenus pendant plus de 8 jours. L’ambassadeur de France était furax que des ressortissants Français se soient laissés coincer là. C’est probablement la même ambassade qui a décoincé la situation car ensuite, ils ont eu l’autorisation de partir vers Djibouti suivi d’une escale au Yémen et puis les Seychelles, l’Ile de la Réunion et enfin Maurice très attendue par la famille Schwab..

Reza, un Indien musulman de Maurice nous emmène de l’aéroport vers Port- Louis où la Sorellina nous attend, nous les deux curieux touristes qui ont signé pour 7 jours !

Depuis 6 ans que Thierry Schwab est installé sur Maurice et qu’il fait découvrir aux touristes les plus beaux coins de l’île, c’est la première fois qu’il trouve des « preneurs » pour une semaine à bord. Nous sommes accueillis avec beaucoup de courtoisie. Et nous découvrons tout de suite le voilier.

La Sorellina : c’est 13 mètres 40 de « je m’accroche à ce que je peux «,
c’est 13 mètres 40 de « gare à la fracture de l’orteil ou d’un pouce « !
Il va falloir être très vigilent. Chaque cm2 est un piège. On comprend mieux pourquoi les voileux qui font le tour du monde se rompent si facilement quelque chose. Thierry me fait visiter l’endroit qui sera le nôtre pour une semaine. L’escalier qui mène vers le carré est déjà un véritable obstacle pour mes articulations malades. Comment vais-je le descendre sans me casser la pipe ? Quelques jours plus tard, je me surprendrai à le descendre les deux mains occupées et un soir je l’ai monté avec une bouilloire d’eau bouillante ! En fait, je m’habituerai à tout sauf à l’étroitesse des toilettes. Je n’ai malheureusement pas la chance de mes co-équipiers masculins qui peuvent se vider par-dessus bord, debouts accrochés sur la jupe arrière du bateau. Personnellement, j’étais chaque fois coincée dans ce très petit local où j’avais l’impression de ressembler par mon attitude obligée, à une grenouille qui a sauté sur une large feuille beaucoup trop légère pour son poids et qui tente par tous les moyens de rester en équilibre à la surface de l’eau. Oui, je devais ressembler à cela !

Après un premier petit-déjeuner qui nous remet d’aplomb, nous partons déjà vers les eaux du Sud de l’île et nous faisons plus ample connaissance avec Thierry et Yann avec qui nous partagerons durant nos vacances mauriciennes quelques 13 mètres de pont en teck. C’est presque un huis-clos à quatre. Pourvu que le courant passe bien.

Si je dois les décrire, je dirais que Thierry c’est la force tranquille. Cette belle définition trouvée un jour par Séguéla pour Mitterand colle bien à la personnalité de notre skipper. Thierry, c’est toujours un visage calme et serein qui sait où il va et comment il y ira.

C’est 53 ans de détermination et de volonté. Il faut en avoir beaucoup pour quitter une belle région de France et affronter les autorités mauriciennes et vouloir s’installer là avec sa petite famille pour y travailler. Un soir, lors de nos très nombreux échanges de propos, à ma question de savoir si c’était compliqué de s’installer à Maurice, il m’a répondu :
– « A un point que tu ne peux pas t’imaginer. Mais quand on veut vraiment, on peut ! »
La phrase de l’écrivain William Faulkner « il faut avoir des rêves assez grands pour ne pas les perdre de vue pendant qu’on les poursuit » colle bien à la personnalité de Thierry.

Sur la mer, j’ai une confiance absolue en lui, même si presque chaque fois, il doit faire démarrer son moteur à l’aide d’un tournevis ! (Il paraît que c’est une bulle d’air dans le diesel)
Yann, c’est son beau-fils. Yann c’est plus d’1métre 80 et presque 100 kilos de force. Yann, c’est une pensée, une parole qui l’a traduit et un acte qui suit. Il n’y a pas une parole de trop chez lui sauf peut être l’expression « Putain » qu’il affectionne particulièrement. Il mange les pâtes comme Jean Réno dans le Grand Bleu. Je le sais, j’ai vu le film 5 fois ! Avec Out of Africa, c’est mon autre film-culte. Il s’est complètement intégré aux terres et aux eaux de cette île de l’archipel des Marasceignes. Il marche toujours pieds nus même lorsqu’il va au Super U et commence à avoir une pointe d’accent créole dans son français venu d’Alsace. Outre le fait qu’il peut chasser le poisson au harpon, c’est un excellent cuisinier et un amoureux des épices. Si un jour, il quitte Maurice, je le vois bien tenir négoce dans un palais des saveurs !

Et puis pendant 2 jours, nous aurons la compagnie de Stuart, jeune créole de 15 ans, fils d’un ami de Thierry. Stuart a 4 amours dans sa vie : la mer, Mélanie sa petite copine et ses 2 portables. Toute la journée, il sera appelé aussi souvent qu’un gestionnaire de portefeuille à la Bourse de New York !
Il parle avec un joli accent créole où tous les R et autres consonnes sont souvent oubliées. Il a de superbes boucles qui roussissent par excès de soleil et d’eau salée. Pendant ces 2 jours, on verra presque toujours Stuart en anorak car il est vrai que pour lui une température de 26 à 28 degrés, c’est encore un peu l’hiver !

Stuart connaît bien les eaux du sud et il connaît mieux que Thierry les passes du côté de Grande Rivière Noire et le lieu exact où se trouve le corps mort où son père, excellent skipper, accroche le catamaran de la société qui l’occupe.
Et nous voilà partis vers le sud où les terres les plus hautes de l’île s’élèvent du côté de Grand Bassin et du Morne Brabant. Nous voyons toute la chaîne de montagnes avec des sommets qui affichent 600 à 800 mètres et se détachent de l’horizon par de jolies formes. Deux sommets se terminent curieusement comme les chapeaux pointus des sorcières d’Halloween. En cours de route, nous verrons quelques dauphins qui nous suivront.

Et parfois, Yann criera « Putain ! Tortue !«
Mais chaque fois, je louperai l’apparition !
De temps en temps, Thierry mettait le pilote automatique pour s’occuper d’autres choses car il aimait dire que sur un bateau, on n’a jamais fini. Yann faisait souvent des petites siestes. Nous, nous étions trop fascinés par le spectacle de l’eau pour la quitter des yeux surtout que la Sorellina nous donnait l’impression d’être vraiment très proche de l’océan. On était presque assis dessus. Parfois Stuart toujours très calme, piquait telle une guêpe vers la barre, neutralisait le pilotage automatique pour reprendre sérieusement le cap en mains. En chemin, on croise un des catamarans que Florence Arthaud a skippé jadis. C’est avec le même modèle qu’elle a gagné la Route du Rhum sur Pierre 1er. Plus tard, lorsqu’on arrivera à Grande Rivière Noire, c’est Stu qui dictera le cap à prendre et désignera l’étroit passage dans la barrière de corail pour nous abriter pour la nuit. A 15 ans, 4 adultes lui faisaient entièrement confiance pour rentrer dans la passe. Yann et Thierry enregistraient tels des disques durs les prises de cap désignées par l’adolescent en se rappelant les lieux pour la prochaine fois. Il est vrai qu’ils connaissent moins bien cette partie de l’île. Le soir tombait sur nous et la mer était légèrement ridée comme des pommes qu’on oublie trop longtemps dans une cave.

On contemple un superbe coucher de soleil sur la mer et derrière nous les maisons créoles perchées sur le flanc du morne parmi les flamboyants et les filaos commencent à s’éclairer pour la nuit. Nous étions à l’abri dans la baie protégée par les hautes falaises du Morne Brabant. Thierry nous raconte alors qu’aux temps de l’esclavage, les Noirs se réfugiaient sur le plateau central peuplé seulement d’oiseaux et de singes et difficilement accessible. Dans les années 1830, lors de l’abolition de l’esclavage, des soldats venant apporter la bonne nouvelle forcèrent le passage ; les Noirs se crurent perdus et se jetèrent dans le vide du haut de la falaise.

Nous y restons 24 heures et nous ferons notre première découverte des fonds marins.
On reprend notre matos qui n’a plus servi depuis quelques années. A peine arrivée dans l’eau, je vois les premiers poissons trompette. Long corps étroit qui n’en finit pas un peu comme une grosse anguille avec une tête qui se termine en forme de trompette. Il faut bien un peu d’imagination quand on est poisson pour se démarquer dans ce monde sous-marin très curieux et surtout fantaisiste. Mes premiers coups de palme sont timides car je ne suis pas chez moi, je suis juste tolérée dans la caze posson (la maison du poisson en créole). Les massifs de coraux affichent de belles couleurs violette et mauve pâle. Yann, Uwe et moi, nous nageons parmi les poissons sergents-majors et autres poissons clowns.

On passe une nouvelle nuit attachés au corps mort et le soir, on retrouve un océan plus calme avec un beau bruit de clapotis contre la coque. Ce bruit ou plus exactement cette musique naturelle sera notre iPod pour une semaine.
Sur la plage face à nous, des petits créoles se baignent en jouant et criant. Les yachts motorisés reviennent un par un de la pêche au gros. Certains ont hissé un fanion rouge sur un mât. Thierry nous explique que le bateau annonce de cette façon qu’il a fait une prise, soit un thon soit un marlin. Au centre nautique, le nom du bateau, du skipper, le poids de la prise et le nom du pêcheur seront affichés sur un tableau noir. Il y a des records à battre. Il fait nuit noire lorsqu’un monocoque arrive dans la passe et jette l’ancre. Il laisse ses feux de nuit. Un peu plus tard, on entend un moteur et l’ombre d’un petit canot se déplace vers nous. C’est quelqu’un du bateau qui nous apporte un superbe morceau de thon blanc. Le voilier arrive de l’île de la Réunion et il a fait une très belle pêche. Il la partage avec nous. C’est très sympa. Je propose à Yann de le cuire sur le barbecue et demain midi nous en ferons une salade. Yann m’invite alors à nous lancer mutuellement dans une préparation et chacun sur la Sorellina goûtera ce qu’on a fait. Et pourquoi pas ? J’ai déjà une bonne idée pour les épater.

Le lendemain, Stuard nous quitte pour rejoindre son père et nous levons l’ancre pour aller vers Trous-aux-Biches dans le nord. On longe les plages de Flic en Flac et deTamarin avec leurs très beaux hôtels. On assiste au « jeu » de hors-bords remplis de touristes qui encerclent un banc de dauphins. Ils ressemblent à des gauchos argentins qui encerclent un troupeau de bovidés pour les ramener au coral. Sur la Sorellina, on est tous silencieux ! On croise des petites embarcations nonchalantes de pécheurs. On voit sur les terres quelques longues cheminées qui nous prouvent la présence d’usines à canne à sucre. Aujourd’hui, nous aurons plus de 6 heures de navigation. Vers midi, le vent change et le bateau se met à giguer méchamment. Pour la première fois, je sens un léger inconfort au niveau de l’estomac !

Yann descend dans la cuisine pour préparer le poisson reçu hier soir. On entend une sacrée cacophonie venue du bas. Des couverts et des verres tombent. Sur le pont, nous nous accrochons à ce qu’on peut. Yann continue à préparer le lunch mais en lançant des rafales de « putain ! » Puis un choc sec et lourd suivi d’un énorme juron de Yann : l’ordinateur de Thierry s’est fait la malle et le balancement du bateau le propulse quelques mètres plus loin par terre.

Je ne sais pas comment il arrive à cuisiner dans une telle mer. Ca cogne fort. Je me fais toute petite pour que Yann m’oublie et surtout qu’il ne me propose pas de le rejoindre dans le carré et me lancer à ses côtés dans ma propre préparation. Je serai incapable de tenir debout dans la cuisine et surtout d’éplucher des légumes ou couper quoique ce soit. Je ne m’appelle pas
Helen Mc Arthur, moi ! Elle, elle a des couilles !! Je crois qu’il a l’élégance de faire semblant d’oublier nos propos de la veille. En pleine mer très secouée, il déboule du carré comme un flibustier dressant dans les mains 2 énormes sandwiches garnis de thon superbement préparé!

Il nous a scotchés ! Il n’y a rien à faire : la vie à bord se rythme selon les caprices du vent et de l’eau. Aujourd’hui, Eole joue les divas capricieuses et le vent change tout le temps. Les voiles très gonflées nous font balancer comme sur un air de reggae. Avec nos immenses sandwiches au thon, on chaloupe vachement !

En début de soirée, tout se calme. Nous n’avons rien fait de la journée, juste essayé de garder l’équilibre et pourtant nous sommes vannés. Le repas toujours apprécié se passe dans un écrin naturel avec une perspective panoramique à 360 °. Dans le ciel, les nuages s’effilochent et laissent percer un soleil qui se couche. On dirait le clin d’œil d’un gros reptile.
Au milieu du séjour, nous faisons un break et nous quittons pour quelques heures la mer pour nous rendre à l’intérieur des terres et visiter les fameux jardins de Pamplemousse. Nous passons en premier lieu au Super-U pour y acheter des épices. C’est une énorme grande surface où il y a 32 caisses ! Super -U a un effet magnifique et libératoire sur notre organisme Il y a des toilettes publiques. Bonheur ! Nous les utilisons avec enthousiasme. Chouette ! Des vraies toilettes bien spacieuses où on n’a pas les genoux au niveau des sourcils lorsqu’on y est installés et où il ne faut pas s’y accrocher de peur de tomber !!
A la sortie , nous découvrons un marchand d’étoffes magnifiques d’origine du Cachemire. Nous aimerions bien lui acheter une nappe qui est superbe mais le prix est très élevé. Il ne nous lâche pas, il ferre le poisson que nous sommes et tente le marchandage.

-« Vous êtes mes premiers clients de la journée, achetez-moi pour porter bonheur à ma boutique. »
Il insiste comme les professionnels de la vente et veut se lancer dans un marchandage mais que nous ne poursuivons pas. Reza nous attend dehors pour nous conduire vers Cap-Malheureux et on ne veut pas le faire trop attendre.
Arrivés à ce superbe endroit qui nous offre un paysage paradisiaque qui laisserait songeur le plus sec des cœurs, nous tombons nez à nez avec un petit créole d’environ 5 ans. Des dodos en pâte de sel dans la main, il s’adresse à nous en créole :
– Ti achète moi jolis dodo » et en gros en comprend que nous sommes ces premiers clients de la journée et il nous fait un prix que nous ne pouvons refuser pour lui porter bonheur !! On éclate de rire . Il est trop mignon pour refuser. On se retrouve avec deux minuscules dodos dans les mains(grosse volaille mascotte de l’île disparue depuis le 18e siècle massacrée en grande masse par les colons Anglais et puis Français).

Ils seront notre seul souvenir acheté ramené de l’île.
Nous visitons ensuite un des plus beaux parcs tropicaux du monde, le jardin de Pamplemousses.
Jujubiers, camphriers, girofliers, caféiers, arbres d’ébène… nous avons même vu l’arbre à bander (dont certains extraits rentrent dans la préparation du viagra) sans oublier l’arbre qui saigne, et un arbre dont les feuilles écrasées donnent un parfum compliqué fait de 4 épices. Cet arbre à lui seul est un vrai souk aux épices !
Nous visitons ensuite le plus grand musée de l’île. Le musée du sucre, c’est l’histoire de la canne à sucre à Maurice. Comme l’analyse si bien un certain Maxwell, technicien international du sucre : « on ne réalise généralement pas assez que cette petite île, perdue dans l’Océan Indien, est un des principaux pionniers de l’industrie sucrière mondiale, aussi bien au point de vue de la fabrication du sucre que de la culture de la canne. »

Dans ce musée très intéressant, nous apprenons aussi l’origine du nom de l’île Maurice : les premiers navigateurs à DECRIRE l’île furent hollandais et ils nommèrent cette île déserte Mauritius, du nom de Maurice de Nassau, qui était stadhouder de Hollande, d’où son nom actuel.

Au retour vers la Sorellina, nous roulons entre les champs de canne à sucre et les petits villages. On croise une camionnette marchand de glaces qui diffuse une musique tonitruante (cela plait beaucoup aux enfants d’origine indienne) et à l’arrière il affiche très prudemment un panneau où on peut lire : TENTION ZENFANTS ! (on aime bien la langue créole).
Dans la voiture, la radio de Reza diffuse entre la musique des îles, des pubs qui vantent avec tout le côté doux et sucré de cette langue les bienfaits des matelas Relax vendus dans un magasin de Grand Baie. Nous reposons pied sur le pont en teck et aussitôt nous partons encore plus vers le nord. Pendant la navigation, nous assistons enthousiastes aux déplacements des poissons volants.

Solitaire ou en banc, ils jaillissent de l’eau pour voler sur des incroyables distances et retombent beaucoup plus loin dans l’eau. Lorsqu’ils sont en petits bancs, ils font vraiment un bruit d’hélice. Nous sommes subjugués.
Et toujours de temps en temps, on entend: « Putain ! Tortue ! «
Mais hélas je ne suis jamais assez rapide pour la voir. Il faut dire qu’à peine la tête sortie pour respirer, l’animal replonge aussitôt sous l’eau.

Après 2 heures de navigation et un passage réussi à travers la barrière de corail, nous mouillons dans une baie très tranquille aux eaux turquoises face à de jolies maisons créoles qui sont louées à des vacanciers. Je pense que la présence de la Sorellina devant leur terrasse qui plonge vers le sable et l’eau très transparente donnera une touche de perfection à la vue idyllique qu’ils ont de la mer. Ces maisons sont très jolies et lovées dans les pins maritimes et filaos. Un petit groupe d’amis vacanciers se trouvent face à nous sur la petite plage , ils viennent d’Afrique du sud et se disputent une partie de pétanque. L’art du lancer de cochonnet a franchi les océans.

Le soleil se couche doucement et reste un peu accroché de notre côté avant de passer sous la ligne d’horizon et de tiédir le petit matin qui commence du côté de l’île de Pâques.
Et comme chaque soir, Thierry nous offre un petit blanc frais, une bière ou tout simplement un soft drink. Ici l’équipage n’est pas en uniforme, les cabines ne sont pas nacrées aux lignes épurées, il n’y a pas de bois précieux et pourtant chaque soir, la Sorellina devient un des plus beaux bars du monde !

C’est ensuite l’heure du repas où ce soir-là, Yann nous parle de ses rares rencontres avec les requins . Ici même dans cette petite baie, il est tombé un jour face à face avec un requin-tigre et il a eu une grosse frayeur. Sa présence aussi près des côtes est tellement rare qu’il est allé la signaler aux gardes-côtes. Ce soir, l’océan est très calme, la pleine lune sort de la barrière des filaos et éclaire la baie d’une façon magique. L’eau est si parfaite que j’ai envie d’y plonger. Mais le fait d’entendre les gros poissons jaillir de l’eau pour chasser et puis retomber lourdement dans les flots et les histoires de requins de Yann me refroidissent et je préfère finir une dégustation étonnante d’un ballon de rouge en provenance du Botswana.
Yann était excité à l’idée de nous faire découvrir le lendemain son paradis à-lui et de nous emmener vers l’Ile Plate au large de Maurice. C’est un endroit de rêve, le lieu où on se sent seul au monde. Thierry et Yann projètent d’y rester une à deux nuits.
On lève l’ancre et on prend le cap pour l’île Plate, l’île de Yann. Il nous l’a décrite comme étant une plage paradisiaque où l’océan vient mourir dans des derniers soubresauts en laissant des petites cuvettes d’eau très transparente. Les poissons tropicaux s’y emprisonnent jusqu’à la marée suivante . Yann adore alors les utiliser comme yacuzzi. Il nous prévient juste que l’arrivée sur l’île avec le petit bateau annexe est parfois « folklorique » et un peu secouée.
Nous approchons de l’Ile Plate et on passe avant devant d’autres îles. Le passage un peu au large de l’une d’elles me fait penser franchement au Cap-Horn. Elle a le même profil !

Et c’est bien évidemment à ce moment-là que l’océan s’agite un peu plus. Le soleil se met à tout écraser. Les beaux bleus azur, les bleus turquoise : tout devient couleur zinc. Au loin, on aperçoit quelques voiles. Un pêcheur revient de l’Ile aux Serpents. Sa coque disparaît derrière les creux de vague pour réapparaître ensuite plus haut que nous. L’océan se démonte un peu plus.

Yann me dit alors :
-« L’océan Indien, c’est pas pareil que les autres. Ca part dans tous les sens ! »
Et oui, ça balance pas mal à Maurice.

Nous arrivons au moment tant espéré de Yann. On est arrivé et on parvient à se fixer avec beaucoup d’adresse au corps mort. Il est vrai que le courant est fort et je me demande déjà comment nous allons faire pour aller sur la plage que nous apercevons du bateau. Je la devine et elle a l’air de brûler sous le soleil. De véritables gerbes d’eau se jètent sur les rochers. Une haie de filaos interdit de voir plus loin. Sur notre droite, une énorme falaise se dresse à plusieurs centaines de mètres, elle est surmontée d’un phare.

Thierry lance l’annexe à l’eau et Yann et Uwe parviennent à y monter avec beaucoup de difficulté. C’est à mon tour d’essayer de quitter la Sorellina pour rejoindre la petite embarcation.
JE NE SENS PAS DU TOUT CE TRUC-LA !!
C’est les Malouines ici !!!!

Je ne veux pas les rejoindre et ils essaient alors de ramer pour débarquer sur la côte toute proche. Les vagues et le courant sont trop fort et les repoussent. Ils décident alors de revenir sur le bateau. C’est un véritable rodéo pour remonter. Un peu plus tard, Yann veut emmener Uwe à la nage avec les palmes. Il paraît que les fonds sont très jolis ici. Thierry qui doit rester sur le bateau pour des raisons de sécurité m’encourage à les suivre. J’hésite trop longtemps et je finis par y aller mais mes 2 hommes ont déjà trop d’avance sur moi. Dans l’eau qui me bouscule dans tous les sens, je découvre effectivement de fort jolis fonds. Je vois de très beaux poissons- perroquets.

C’est l’heure où Thierry aime faire la sieste et j’aperçois entre 2 sorties de tête hors de l’eau que Uwe et Yann sont déjà sur la plage à l’aspect toujours aussi brûlante. C’est alors que je me mets à penser aux histoires de requins de Yann. J’attrape une sacrée pétoche car je sais que là où je suis (trop éloignée du bateau et trop éloignée de la plage et des garçons) je n’ai pas beaucoup d’alternatives en cas de rencontre. C’est alors que la moindre silhouette un peu forte qui s’approche de moi me donne les foies. Je retourne vers le bateau en nageant très vite et je m’aperçois que mes dents serrent beaucoup trop fort le tuba. Je vais finir par le casser d’un coup de dent. Si je vois un requin, je meurs sur place !
Lorsque les garçons sont revenus à bord, ils me décrivent effectivement une plage superbe et ils ont profité tous les deux de petits moments de bonheur dans les yacuzzi naturels.

Je n’ai pas très envie de rester là pour la nuit non pas que le coin est laid, mais il y a un côté sévère qu’il nous éloigne des clichés que l’on s’attend à trouver sur les plages de Maurice. C’était quelque part l’autre côté de la carte postale. Ce n’est pas l’envers du décor, non c’est simplement une autre face de Maurice que personnellement j’aime moins. Ce paysage -là eut été parfait aux Malouines ou dans quelques fjords des mers du nord mais pas ici à Maurice, l’île avec des baies, des anses, des lagons aux eaux limpides où les hôtels les plus beaux les uns que les autres rivalisent pour que leurs clients goûtent la quintessence de l’oisiveté !

J’ose émettre un « c ‘est austère ici » et en vrais gentlemen, Thierry et Yann décident de lever l’ancre et de retourner vers des rivages plus rieurs . Yann doit être très déçu et pourtant il n’essaie pas de me convaincre de rester. Je m’en veux un peu de l’avoir privé de quelques moments de plus mais je me dis qu’il aura encore de nombreuses fois l’occasion de revenir ici et nous probablement pas.

On file poussés par le vent et avec agitation sur les eaux profondes (il ne faut pas oublier que nous longeons des zones entre 3000 et 4000 mètres de profondeur) et on retrouve un de nos petits mouillages préférés. Ce soir, nous sommes à 20 °de latitude Sud et 57 °5 de longitude Est et à 2000 km de la côte orientale d’Afrique et nous mangeons du foie gras avec du champagne sur notre dériveur de 13 mètres ! (Nous les avions apportés de Belgique dans nos sacs à dos !) Suite à cela, Yann va griller des langoustes sur le barbecue qu’on savoure avec le champagne.
Le repas est délicieux mais il faut s’accrocher fermement à nos verres pour ne pas verser leur contenu. Ca balance toujours pas mal à Maurice !

Le lendemain, nous partons vers une autre île au lieu dit Coin de Mire. En chemin, un oiseau des mers un peu épuisé se repose sur la toile du pont. Je ne sais pas si c’est un mâle ou une femelle mais la nature a maquillé ses yeux de deux beaux traits de fard blanc. Une grosse ligne de kôll achève de souligner le tour de ses yeux. La nature fait magnifiquement bien les choses. On peut le caresser un tout petit peu.

On mouille le long d ‘une falaise assez abrupte. Un club de plongeurs s’y trouve déjà. On saute à l’eau. Je suis Thierry comme un petit poisson-pilote car j’ai trop la trouille des requins. Yann m’a fait flipper avec ses histoires lors de nos repas. On longe les falaises sous l’eau.
En dessous de nous +/- 30 mètres. Le soleil traverse la surface de l’eau et les rayons de lumière dessinent parfaitement bien des rais sous la mer et se répandent en très larges faisceaux.
Je longe toute la coque noire ventrue de notre bateau qui a l’allure -vue comme cela-
du sous-marin dans les aventures de Tintin. C’est beau ! Je ne lâche pas d’un pouce Thierry qui me montre des capitaines et des longs poissons jaunes dont j’ai oublié le nom. Malgré la présence de nombreux massifs de coraux, Uwe et moi, on s’étonne de voir moins de poissons qu’il y a quelques années. A chacun de nos voyages où nous pouvons faire du snorkkeling, on trouve qu’on voit de moins en moins d’espèces de poissons. Il est urgent d’écouter sérieusement les discours des alarmistes comme Nicolas Hulot, le Belge Eric Hubert ou le très médiatique Alan Gore.
La planète, c’est vraiment nos oignons !

La nuit, on mouille de nouveau devant des plages très belles. Et on se mange un magnifique rougaille saucisses. Décidemment Yann est très doué. Tout le bateau sent bon la cuisine.
Le lendemain, grâce à Thierry nous aurons l’occasion de visiter un vieux grément construit au 19 e siècle. La visite est passionnante. Nous longeons ensuite le Royal Palm où Jacques Chirac est déjà venu plusieurs fois. Thierry nous raconte qu’un jour en se promenant sur la plage, il aperçoit Chirac sur un transat s’abandonnant sans raffinement dans une sieste profonde la bouche grande ouverte.
Un peu plus loin, il voit un membre du personnel et demande
-« Dites, ce n’est pas Monsieur Chirac que je viens de voir ? «
et la personne de lui répondre gentiment mais fermement
-« Non, Monsieur, vous n’avez vu personne ! »

Voilà, le temps est malheureusement venu de rentrer sur Port Louis la capitale de l’île. Dans le chenal qui nous y conduit, nous dépassons des mastodontes qui battent pavillon chinois. Ils chargent du sucre. A notre droite, un groupe de pêcheurs du Japon. C’’est des vrais massacreurs des mers(surtout le thon).
Voilà nous sommes ancrés pour la nuit devant un immense et bel hôtel et enfin, nous pouvons prendre une vraie douche au Yachting Club de Maurice. Bonheur !Frais et sentant le bon, nous partons à 4 à la recherche d’un petit resto. Il est 20 h et la vie très animée le jour a fait place à une ville très, très calme. Dès que nous avons quitté le port, les petites rues sont noires et vides de vie. Des tours immenses qui affichent des logos de gros groupes banquiers s’élèvent entre des vieux magasins un peu pourris souvent tenus par les chinois. Yann me fait observer l’un d’entre eux qui fait une sacrée résistance entre deux gros buildings. L’image est presque comique. On ressemble à 4 voileux qui reviennent d’un long voyage. Dans les quartiers noirs et glauques, Thierry trouve l’entrée toute illuminée d’un resto chinois que sa femme lui avait renseigné. Tous les volets sont baissés et portes fermées sauf un escalier éclairé et un peu pourri qui mène vers l’étage. C’est Uwe qui pousse la porte. Nous tombons sur une étonnante salle très éclairée où des tables de 12 à 13 personnes sont quasi toutes occupées. Des familles entières de chinois se trouvent là pour manger. Je me crois à Canton ou à Macao. J’a-do-re. En plus, la nourriture est très bonne.
On se réveille vraiment trop tôt le lendemain car Reza vient nous chercher pour nous conduire à l’aéroport avant 5 heures.
Les adieux sont comme toujours la chose la plus difficile du voyage.Thierry et Yann nous offre du « rhum arrangé ». C’est un rhum chargé de fruits frais qu’ils font macérer des semaines durant avec du sucre de l’île. C’est très bon. Pour Noël, nous les ouvrirons et nous boirons ce soleil des îles à leur gentillesse et à la longue vie pour la Sorellina.Au retour, nous survolons la Somalie, l’Ethiopie, le Soudan et l’Egypte. Nous voyons cette immense étendue de désert et puis comme un signe de vie dans ces pays de la Soif, un tracé d’eau qui est le Nil. Mon voisin (Antillais fiancé à une Mauricienne) s’étonne que le Nil ne se fait pas engloutir et effacer par ces immenses étendues de sable. Le voyage se termine par un vrai cadeau du ciel : le survol à basse altitude de Paris tout illuminée avec une Tour Eiffel féerique.
Et puis, on retrouve la maison et Tigrette tout alanguie de notre absence de 10 jours.

Cette nuit, la chambre de Rèves a tangué pas mal. Je ne sais pas sur quel corps mort nous étions accrochés mais il ne faisait manifestement pas l’affaire. Le lit glissait à gauche et puis méchamment à droite et on devait s’accrocher pour ne pas tomber.
Bien avant le petit matin, réveillés sans avoir véritablement bien dormis, nous réalisons qu’on est plus sur les eaux transparentes de Maurice mais bien à la maison en Belgique.
On souffre de ce qu’on appelle un sacré mal de terre et un méchant réveil. Putain !

Port Louis – Ile Maurice et Rèves
le 11 novembre 2006